J0
27/11/18
7h30
Après une bonne nuit à quai, j'ai l'occasion, au petit matin, en buvant mon café, d'observer la vie - très particulière et fourmillante -des pontons.
Le ballet de ceux qui partent et reviennent serviette autour du cou prendre une douche à la capitainerie, des caddies à roulette pour aller faire des provisions en ville, les machines de linge propre qu'on étend partout où l'on peut sur le bateau, les aficionados du balai-brosse au saut du lit, les "bateau-stoppeur" qui font le tour des navires pour trouver des embarquements, les oeillades par dessus bord ou par les hublots car tout le monde s'observe et jauge le bateau de l'autre, et, malgré tout, le bon esprit et la solidarité à base de prêt de raccord ceci, tuyau cela, debrief météo et coup de main depuis le quai pour les manœuvres, dans un doux mélange polyglotte.
9h
Tout le mur du ponton de la marina de Santa Cruz est peint. Des "blasons", des crobars, des pochoirs mais surtout, des dates, des noms de bateaux et d'équipiers. Tous partis pour une transat.
Puisque c'est une tradition, on rajoute notre tag à l'édifice, y'a pas de raison.
10h40
Les dernières formalités de port sont remplies, le plein d'eau est fait, on profite une dernière fois des bennes à ordure et puis...bah à un moment faut bien se lancer !
10h54 Allumage moteur
11h08 On largue les amarres, les français du bateau d'à côté nous aident à nous dégager du quai et nous font de grand signes d'au revoir, comme une famille. Et qu'on le veuille ou non c'en est une. La grande famille consacrée des marins et autres navigateurs, et plus particulièrement de "ceux qui vont traverser ". Et, inconsciemment, c'est la réconfortante famille de ceux qui parlent la même langue à l'étranger.
11h39, voiles hissées, on éteint le moteur et voilà, on y est.
Le bruit de l'eau, le bruit du vent, le claquement caractéristique des écoutes et le clapotis familier de l'eau sur la coque. Et rien d'autre.
D'ailleurs, on ne s'y trompe pas, aucun de nous ne dit un mot. On savoure.
Aujourd'hui, on longe Tenerife sur toute sa longueur. Et si on a le cœur résolument tourné vers le large, on garde l'oeil accroché à la terre. On ne la reverra pas avant longtemps alors on se grave un peu de relief sur la rétine avant de ne voir que de l'eau à perte de vue.
Les conditions sont optimales, bon vent portant établi, peu de mer, parfait pour s'amariner. Le ciel est couvert par contre et au vent il ne fait pas très chaud.
17h22
L'île accroche les nuages, c'est tellement couvert qu'elle disparaît progressivement de notre champ de vision.
J'ai les yeux rivés sur la côte, ou plutôt l'ombre chinoise d'un sommet qui seul se détache encore timidement au loin.
Nous, on file au large, et comme on s'est extirpé de cet imbroglio nuageux on retrouve enfin un rayon de soleil qui procure un éclairage magnifique sur la masse grise et le grain qu'on laisse derrière nous.
18h19. Ça y'est. Où que je regarde, aussi loin que porte mon regard, je vois la mer.
Mon cœur s'emballe, d'appréhension, un peu, d'abandonner le confort et la sécurité de la terre ferme. D'excitation, surtout, car maintenant c'est l'aventure. Pour de vrai.
Après en avoir rêvé, parlé, l'avoir fantasmée, je réalise et prend conscience que la traversée a bel et bien commencé.
Et ici l'adage "peu importe la destination, c'est partir et faire le voyage qui comptent" prend tout son sens.
Peu importe où nous mènera le vent et tant pis si ce n'était pas le cap qu'on s'était fixé.
D'ici là s'offre à nous la chance inestimable de déconnecter, d'oublier nos téléphones, l'actualité, nos emplois du temps trop chargés.
D'ici là s'offre à nous le bonheur simple d'admirer un lever ou un coucher de soleil, un arc-en-ciel ou la voie lactée.
D'ici là s'offre à nous un luxe précieux : le temps de prendre le temps. De réfléchir, de contempler, de lire, de se reposer, de prier, ou juste de ne penser à rien, les yeux dans LES vagues.
18h47
Plus de réseau. C'est l'heure de déconnecter. C'est l'heure de profiter. C'est l'heure de naviguer.
Moana