Chaque année en Juillet à Tahiti les fêtes du HEIVA rassemblent les meilleurs groupes de danse tahitienne amateurs ou professionnels ainsi que les meilleurs groupes de chants .
C’est le retour à la culture traditionnelle qui a subi, avec la colonisation l’influence légèrement puritaine des autorités religieuses et administratives. Après une période de franche interdiction, la république autorisa et même encouragea les danses et les chants traditionnels à l’occasion des fêtes du 14 juillet. C’est ainsi qu’en 1881 sont fondées les fêtes du Tiurai (july en anglais ) . En 1956 ces festivités prennent le nom de HEIVA en même temps que les tahitiens redécouvrent l’art de la danse tahitienne (Ori Tahiti), et du Himene (chant traditionnel).
L’événement a un tel succès que les places sont difficiles à se procurer. Nos amis François et Gaby passionnés de cette culture polynésienne séjournent chez des amis Tahitiens. Marianne, médecin à l’hôpital a eu le courage de faire la queue plusieurs heures à la sortie d’une garde de nuit pour nous obtenir des places. C’est ainsi que nous avons le privilège d’être invités à la soirée de remise des prix où se produisent les groupes les plus prestigieux.
Nous arrivons à To’ata à l’entrée de Papeete où se situe le lieu de la compétition . Nous rejoignons nos places dans La Tribune face à la grande scène où se produisent les groupes de danse et les orchestres . Il fait déjà nuit, les nuages menacent mais il ne pleuvra pas se soir là, une légère brise adoucit la température . Le temps de se mettre dans l’ambiance et on annonce le groupe O Tahiti E. Dans un silence total et dans une quasi obscurité on devine sur scène les 180 danseurs qui prennent place. Le silence encore et l’on entend soudain comme une immense respiration. A travers leur danse et leur musique les artistes d’ O Tahiti E vont interpréter : te aho nunui ( le grand souffle vital) . C’est l’histoire d’une vielle femme qui a la fin de sa vie va transmettre à travers son dernier souffle ( le Ha ) tout son savoir, ses traditions, sa culture, sa langue à sa petite fille . Cette aïeule agonisante est interprétée par Mme Marguerite Lai qui dirige ce groupe et a consacré toute sa carrière au renouveau de la danse traditionnelle. Le rythme des toere tronçons d’arbre fendus longitudinalement, et des pahu tambours polynésiens mêlés du son des flûtes nasales (vivo), met le feu à To’ata. Frissons garantis.
Au rythme des Aparima, notre jeune héroïne va nous raconter l’histoire de son pays. Chaque tableau met en scène 180 danseurs et danseuses dans des costumes traditionnels essentiellement végétaux qu’ils ont fabriqués eux mêmes.
Ils forment un ensemble d’une cohésion impeccable, et pourtant lorsque le regard se concentre sur l’un d’eux ou l’une d’elle on est frappé par l’intensité du regard, la sérénité du sourire, la grâce des gestes particulièrement des bras et des mains .
Apa désigne le geste en tahitien et rima les mains .
(cf lien video ci dessous .)
Lorsque l’on regarde ces belles jeunes filles il faut s’efforcer d’élever le regard... observer leurs gestes gracieux, la souplesse de leurs poignets, la finesse de leur mains . Chaque geste a une signification. Elles sont presque cent à te dire la même chose, comment ne pas perdre la tête? Les garçons expriment leur force, leur agilité et leur souplesse. Sont ils chasseurs, pêcheurs, guerriers ou simple conquérants de l’objet de leur désirs ? Tous ces jeunes d’une beauté insolente, vont danser leur culture, leur attachement à une vie en harmonie avec la nature que leur tradition incite à respecter en la déifiant, leur sensualité libérée de la censure occidentale. Les aparima laissent une large place au rite de séduction ou alternativement les filles et les garçons dévoilent leurs rêves d’amour. Ce n’est jamais vulgaire, c’est simplement beau et émouvant.
On en vient à se demander comment d’aussi jolies jeunes filles, entourées de si séduisants prétendants, seraient tombées sous le charme de nos marins à moitié édentés par le scorbut, affaiblis par une longue traversée souvent dans des conditions difficiles. Les tahitiens ont une réponse surprenante. Dans la culture polynésienne l’étranger est bienvenu par tradition. Il est accueilli pour la diversité qu’il apporte y compris en ce qui concerne la variété du capital génétique. Par intuition les Maoris ressentaient les dangers de la race « pure » . Comment cette même intuition a t elle pu si cruellement échapper à notre Europe des philosophes . C’est qui les sauvages ?
Les tableaux s’enchaînent, et soudain la danse et la musique prennent un ton plus grave. Les filles sont habillées de robes plus strictes et les garçons moins entreprenants. Notre héroïne est un peu triste car la religion des colonisateurs a interdit ces danses et ces costumes. Pendant près d’un siècle toutes ces réjouissances seront proscrites . On comprend alors l’importance de la transmission du savoir de génération en génération sans laquelle les arts du chant, de la danse, et de la musique auraient sombré dans l’oubli .
L’intermède est de courte durée. La vie, la danse, la musique reprennent le dessus avec un enthousiasme communicatif . On admire le travail de tous ces jeunes en imaginant les longues heures de répétitions, les week end passés à préparer les costumes. On lit sur leur regard le bonheur d’être ensemble, de partager leur attachement à une culture retrouvée . Leur culture . Dans un hommage final et spontané, ils vont dire leur reconnaissance à leur directrice Mme Marguerite Lay . Ils restent assis sur scène et chantent pour elle . Ils n’ont pas envie de partir, nous non plus.
Dans son allocution d’adieu, Mme Marguerite Lay leur dira : vous avez une culture riche, des danses et des chants traditionnels magnifiques . Vous n’avez nul besoin d’aller copier ailleurs. Message reçu.
Comme un bonheur ne vient jamais seul . Nous avons la chance d’être invités cette fois par la famille à revoir le même spectacle dans un cadre naturel grandiose: le site de Fare Hape au fond de la vallée de la Papenoo . A près une heure d’un chemin chaotique en 4X4, la beauté de ce site naturel va contribuer au renouvellement de la magie du spectacle . Le public est composé surtout de tahitiens amis ou parents des danseurs . L’ambiance est plus familiale . Les adieux de Mme Marguerite Lay plus intimes, mais tout aussi émouvants .
Vous l’aurez compris le groupe O Tahiti E a gagné le concours du Heiva i Tahiti 2019 en catégorie Hura Tau ( professionnels), il a aussi gagné dans nos cœurs . C’est pourquoi nous n’avons parlé que de lui . Mais beaucoup d’autre groupes professionnels ou amateurs font revivre avec talent l’art de la danse et du chant traditionnels en Polynésie, pour notre plus grand bonheur.
HEIVA I TAHITI 2019 - O Tahiti E (1er prix Hura Tau)
La prestation de O Tahiti E, grand gagnant du Heiva i Tahiti 2019.