Le 29 avril 2020, alors que nous sommes immobilisés depuis un peu plus d’un mois dans la baie de Taiohae, les bateaux sont de nouveau autorisés à naviguer autour de Nuku Hiva.
Nous en profitons pour revenir à Hakahui dans l’anse d’Hakatea, notre mouillage préféré. Cette fois nous marchons jusqu’à la cascade en passant par l’ancien village en haut de la vallée.
Nous retrouvons avec plaisir Kua et Teiki, derniers de leur famille à vouloir vivre ici. Ils cultivent fruits et légumes qu’ils vont ensuite vendre à Taiohae. En cette période de moindre fréquentation touristique, au lieu d’attendre les aides du territoire, ils se sont courageusement remis à la récolte du coprah. Teiki est un chasseur redoutable et comme tous les marquisiens un bon pêcheur, si bien qu’on ne manque de rien ici.
Nous découvrons aussi le chemin qui à travers la montagne relie Hakahui à Taiohae. Nous marchons 2 heures sans croiser âme qui vive dans un décor de paradis terrestre. Quand nous faisons demi tour il reste au moins quatre heures de marche pour atteindre Taiohae. Nous sommes songeurs en pensant qu’autrefois les Marquisiens faisaient l’aller retour dans la journée.
Le 10 mai nous décidons de nous rendre au mouillage d’Houmi dans la baie du contrôleur pour récupérer des penu que nous avons commandés aux artisans de cette vallée. Nous aimons beaucoup cet endroit où les marquisiens ont gardé un mode de vie et d’habitat très adapté au milieu naturel. Seule la présence de voitures vient nous rappeler l’époque où nous vivons .
Le 14 mai, alors que nous sommes aux Marquises depuis presque six mois, les directives des autorités polynésiennes sont suffisamment floues pour que nous décidions de partir pour les Tuamotu.
Nous sommes heureux de retrouver notre liberté. Pourtant en quittant la baie de Taiohae je suis profondément ému. Les Marquises nous ont éblouis par leur beauté. Nous garderons de Nuku Hiva le souvenir de belles et riches rencontres. Sans doute les Marquisiens sont ils habitués à voir les gens passer, c’est une contrainte de l’insularité. Et cependant ils n’hésitent pas à se lier d’amitié avec une touchante générosité. Non les amis nous ne vous oublierons pas et peut être reviendrons nous un jour. Car ce sont des endroits où il faut revenir.
Comme pour nous arracher à notre nostalgie, la mer se fait douce et le vent généreux. Nous marchons à huit noeuds sur la route directe vent de travers, le rêve .
Le soir est somptueux, nous retrouvons l’horizon. La vie est belle. Nous nous organisons pour le quart de nuit c’est à dire que je vais dormir et Florence veille .
A mon réveil la lune se couche à l’horizon, le ciel se dégage, et la Voie lactée se montre dans toute sa splendeur. Envoûtante vision de l’infini, que seul le lever du jour viendra dissiper.
Nous avions prévu d’arriver en un peu moins de quatre jour au petit matin. Mais nous allons plus vite que prévu. Il s’en faut de peu que nous n’arrivions au soir du troisième jour. Ici la nuit tombe vite. Nous ne voulons pas arriver de nuit dans la passe puis au mouillage. Il nous faut donc freiner et nous finissons sous foc seul.
Le 18 mai au matin nous nous présentons devant la passe Garue au nord de Fakarava. Le courant est favorable : environ 3 Noeuds. Nous suivons prudemment le chenal qui mène à Rotoava. Le lagon est splendide avec ses couleurs de carte postale. Nous ne savons pas encore que le piège va se refermer sur nous.
Comme il est encore tôt, et la lumière favorable, nous poursuivons le petit chenal qui longe le lagon vers le sud jusqu’à Kakaiau, où nous retrouvons nos chers amis de Stella Maris . Belles retrouvailles sur la plage. Le soir Lionel, notre nouvel ami revient de la pêche. Il est capable d’attraper à la main les perroquets qui dorment la nuit dans leur trou sur le platier . Il est capable de bien d’autres choses comme le dira la suite de l’histoire . Lionel distribue ses poissons et ne garde pour lui que ce dont il a besoin. Au menu du lendemain: poisson cru et Kaveu, crabes de terre également attrapés par Lionel.
La météo annonce du vent de Sud Est , nous nous dirigeons vers harifa au sud de Fakarava. où le mouillage sera bien protégé avec des fonds de bonne tenue . Nous retrouvons avec émotion le banc de sable où, il y a quelques années, nous avions passé la journée avec nos amis et nos enfants pour un pique nique de rêve. Le site est aussi beau que dans nos souvenirs.
Le Maramu passé, nous nous dirigeons vers la passe sud, en veillant aux patates de corail . A Tetamanu nous trouvons un corps mort pour nous amarrer solidement car le vent d’est reste assez soutenu et le courant de la passe lève un petit clapot . Là aussi nous retrouvons nos souvenirs de 2007 avec émotion. Le village de Tetamanu nous semble plus grand qu’autrefois. Kaku un solide tahitien nous apprend qu’il a lui même remis à jour et défriché l’ancien village qui avait été envahi par la végétation. Il venait de Raiatea il y a quelques années à la demande du territoire. Il n’est jamais reparti. Nous rencontrons également Annabelle qui gère avec autorité et efficacité la pension Tetamanu, fréquentée habituellement par les plongeurs du monde entier. Comme en ce moment il n’y a que nous, Florence en profite pour faire son baptême de plongée avec Raphaël le moniteur. Moment inoubliable .
Le lendemain nous allons nous promener aux sables roses. La houle de l’océan pacifique vient briser sur le récif, elle déborde sur le platier et remplit le lagon. Un dédale d’îles plantées de cocotiers et bordées d’un sable blanc ou rose est baigné d’une eau translucide. Nous laissons l’annexe et marchons dans l’eau. Aussi loin que porte notre regard: nulle trace humaine. Nous nous sentons seuls au monde. Que la nature est belle! Nous sommes émus et heureux.
Nous allons déjeuner à la pension car Annabelle fête l’inauguration de ses nouvelles installations.
L’ambiance est chaleureuse, la cuisine délicieuse . Nous revenons sur notre bateau avec de nouveaux souvenirs plein la tête.
Le 1 er Juin nous quittons Tetamanu pour rejoindre le mouillage de Kakaiau, où cette fois nous sommes seuls. Après un petit tour à terre et une baignade au coucher de soleil. La soirée est magique. Le lagon est beau et calme . C’est pour des instants comme ceux là que nous avons entrepris ce voyage .
Le 2 juin nous allons mouiller à Rotoava au nord de Fakarava. Nous y retrouvons notre ami Lionel . C’est là que le lendemain, alors que nous sommes à terre, au cours d’un phénomène météo aussi violent qu’imprévu notre bateau rompt ses amarres et va s’abîmer sur les patates de corail devant le village.
La petite histoire dira que lorsque ces événements se sont produits nous étions à la messe à l’église de Fakarava. Nous pourrions nous dire que le bon Dieu s’est montré absent, indifférent à notre sort, peut être un peu débordé en cette période douloureuse pour l’humanité. Si nous avions été présents sur le bateau peut-être l’aurions nous sauvé. C’est possible. Ou peut être nous serions nous blessés ou pire, au cours d’une manœuvre compliquée par l’état de la mer, la force du vent, la proximité du récif. Nous préférons penser que dans sa grande sagesse le Dieu d’Amour, en qui nous croyons , a jugé qu’il était temps pour nous de rejoindre ceux que nous aimons.
Pendant quelques heures nous sommes abasourdis. Mais très vite tous les moyens sont mis en œuvre pour alléger le bateau, éviter toute pollution, préparer son renflouement et son remorquage par une équipe d’une gentillesse, d’un professionnalisme et d’une efficacité incroyable. Grâce à leur réactivité, celle de notre assurance et l’aide que nous avons trouvée sur place, Eimata Vàa sera réparé et remis à neuf pour de nouvelles aventures. Le rêve n’est pas brisé mais interrompu, le temps de retrouver notre bonheur familial .
Olivier de Kersauson qui séjourne dans l’hôtel où nous avons trouvé refuge, achève de nous réconforter en nous disant que nous avons subi un phénomène météo rare de type vent vertical descendant appelé micro burst et que nous devons nous féliciter d’être sains et saufs .
Lorsque nous quittons Fakarava, l’avion survole le lagon et nous voyons notre bateau qui vient d’être renfloué. L’Equipe de Dominique Goché le remorque délicatement vers le quai de Rotoava. Avec Florence nous nous étions promis de ne jamais nous laisser atteindre par un accident matériel. Pas facile .
Merci Olivier, Marc, Dominique avec toute son équipe, Lionel, Martine, Aldric et Stéphanie Maxime, Mai Ma, Thibaud, Caroline, Raimond et les autres .
A bientôt les amis.
Philippe et Florence